Client que je suis parvenue à tutoyer après un long travail sur moi-même, Bernard est un gros lecteur qui, via mon blog, va dès à présent partager ses lectures avec nous. Voici ses trois premières chroniques.
- Le Grand Loin, P.Garnier, Zulma : de lui ou de sa fille, on ne sait lequel a le plus sa place dans un hôpital psychiatrique. Anne est rude, revêche et semble dénuée d'affect, "...femme d'action, elle agissait d'abord et pensait après, si jamais elle pensait". Mais Marc, si placide qu'on lui botterait complaisamment l'arrière-train, ne fait guère mieux en négligeant son rôle d'éducateur et en laissant sa compagne sans nouvelle : "Chloé... Il composa son numéro sur le portable et laissa sonner une dizaine de fois avant de couper. Evidemment, elle ne pouvait pas lui répondre puisqu'elle ne faisait plus partie de l'histoire. Il aurait dû filer, la veille, comme la porte à tambour de l'hôtel l'y invitait alors qu'il se rendait à l'accueil. A présent, des liens s'étaient tissés, des liens qui commençaient à le ligoter lentement mais sûrement à un destin qui ne lui appartenait plus". Pascal Garnier, ardéchois d'adoption, écrit, d'un humour noir non grinçant, privilégiant un choix de mots légèrement emprunté mais fluide, dans un roman court parfois irritant - où le héros subit plus qu'il n'agit -, le récit d'une escapade peu sensée où les choses, si elles tournent, le font plutôt mal. L'affaire finit quand même par s'emballer (Anne tranche le doigt infecté de son père et le cautérise à l'allume-cigare du camping-car que Marc vient d'acquérir) et le final vaut son pesant de cacahètes - épisodes qui rapprochent, les personnages entre eux et le lecteur de l'auteur.
- L'art de pleurer en choeur, E.Jepsen, S.Wespieser : La société rurale fermée sur elle-même qu'il décrit dans ce livre surprenant - le premier des trois romans d'E.Jepsen à se voir traduit en français - étonne, émeut et effraie tout à la fois. S'appuyant sur la candeur des onze ans de l'enfant-narrateur, Jepsen cultive l'art de qui n'a pas l'air d'y toucher pour approcher le lecteur de l'âpre réalité sociale des campagnes danoises des années 60, rendant tangible ce qu'elle a de sordide à travers le saugrenu du discours d'un gamin admiratif, conservateur et audacieux. Qui n'a d'autre choix que faire ce qu'on attend de celui qui est là pour maintenir la famille à flot, aiguiller le destin dans sa tâche et, en somme, régler tous ces problèmes en souffrance qui font le quotidien d'un père épicier préoccupé de reconnaissance sociale, commerciale ou politique, d'une mère affairée à ne pas voir, ne pas entendre, d'un grand frère aux études à même de fesser le père si nécessaire - c'est le cas - et d'une soeur entre les deux, au rôle si ambivalent que tremblements incessants et "nerfs psychiques" sont ses seuls refuges. "Quand on se suicide chez nous, c'est en général en se tirant un coup de fusil de chasse. Ce n'est pas donné à tout le monde, car ce n'est pas si facile que ça ; je vais vous expliquer comment il faut faire. C'est mon père qui me l'a appris. On s'assied avec son fusil, la crosse posée sur le sol et le canon dans la bouche. Il faut bien faire attention que l'axe du tir soit vers le cerveau. Après, il faut enlever une chaussette. C'est très important, comme on ne peut pas appuyer sur la détente avec le doigt, on est obligé de se servir de son gros orteil." Le ton et la leçon sont donnés, pour trois cents pages délicieuses où l'humour de Jepsen, s'il est grinçant et renvoie parfois au finlandais Arto Paasilina, s'avère ciselé, usiné, ses bavures parfaitement limées et au service d'une trame limpide où sont ordinaires la mort, la vie, le supermarché, l'inceste ou la folie. Un plaisir.
- Les Anges de l'univers, E.M.Gudmundsson, Flammarion : C'est un monde cruel que décrit, avec la cruauté froide et distanciée de qui n'est qu'à temps partiel dans la réalité, Gudmundsson dans ce roman plutôt bref - le quatrième -, tout en phrases concises, à la succession parfois décousue, dont le personnage principal (Paul Olafsson), transite à la frontière entre sains et malades. Bien plus souvent du côté malades, même quand il ne réside pas à Kleppur, l'hôpital psychiatrique qui se dresse, tel un immense château, près de la mer et où le psychiatre Brynjolfur "a l'air d'en avoir lourd sur la patate". Poète, romancier et scénariste, Gudmundsson commet, avec Les Anges de l'univers, un roman de fous qui en dit autant sur l'univers des normaux du Reykjavik d'aujourd'hui que sur ses malades mentaux. Son style, tout en tableaux qui se succèdent et dont certains voguent au travers d'un ésotérisme heureusement court et parfois rebutant, s'affine - ou plutôt s'ingère avec plus de tolérance - au fur et à mesure de la lecture, d'abord déstabilisée par ce qui semble un manque de cohérence, à quoi il faut se laisser prendre pour mieux lâcher prise et se laisser aller à la poésie de la narration, car "les poètes peuvent écrire des choses comme ça".
Commentaire de la libraire : Bernard est psy et cela se voit mais rassurez-vous il est très sympa et a des choix étonnants en lecture.
Les avis d'une libraire-lectrice
J'ai la prétention de dire que je lis, en moyenne, 4 romans par semaine. A travers ce blog, vous pourrez vérifier si je n'exagère pas car je vais y mettre tout ce que je lis : romans, albums jeunesse, BD,... Dévoré, apprécié ou vite abandonné, chaque livre fera l'objet d'un petit commentaire.
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