« OK, papa, prêt. Regarde », pense Yank, enfant maori, alors qu’il va plonger dans la rivière pour exister aux yeux d’un père qu’il n’a jamais vu et qu’il croit mort…
Le livre déroule ses deux parties depuis cette phrase à cette autre, que Yank entendra à l’âge adulte : « Si tu n’as pas de mes nouvelles, sache que mon amour pour toi est fort de trois siècles. »
La première partie, solaire malgré la solitude, la souffrance et les cruautés de la vie, se déploie parmi les Maoris dans un des endroits les plus remarquables au monde, Waiwera, situé sur un terrain creusé de bains chauds d’où s’échappent des fumeroles. Le village dit de la belle Lena qu’elle est une putain parce qu’elle a vécu deux semaines d’amour fou avec Jess, soldat américain, pendant que son mari, Henry, faisait la guerre en Europe. Le premier repart à la guerre, le second en revient, et commence pour Lena et Yank, car il est le fils de Jess, une vie de brimades et de détresse. Deux fois privé de père, Yank va s’appuyer sur l’amour de sa mère et son goût pour la musique pour déployer sa destinée.
La deuxième partie, extrêmement sombre, nous ramène en terrain plus connu, quand, devenu jeune adulte, Yank part à la recherche de son père au fin fond du Mississippi. C’est l’heure où les Noirs sont encore soumis aux caprices cruels du Ku Klux Klan. Sur fond de protest songs et de discours de Martin Luther King, le voyage va l’ébranler.
L’originalité et la force de ce roman tiennent à de nombreux facteurs. D’abord, il rapproche et compare l’expérience de la négritude dans le Sud des États-Unis et en Nouvelle-Zélande, enrichissant la compréhension que nous pouvons en avoir et notre compassion pour nos frères humains. Mais le propos d’Alan Duff n’est pas seulement politique. Avec une grande finesse psychologique, il présente aussi une large galerie de portraits authentiques et attachants. Dans la société maorie rongée par l’alcool et dominée par l’orgueil du mâle guerrier, la figure résistante de Lena, surtout, fait vibrer. L’éveil à l’amour est décrit avec beaucoup de sensibilité, de naturel et de ferveur. Stylistiquement, c’est un roman à la fois choral (les scènes de baignade, de danse, de concert, etc. montrent le groupe ou la foule comme un organisme unique et tentaculaire) et intimiste où les points de vue alternent très originalement avec empathie et justesse.
Du même auteur :
L’Âme des guerriers,
Les Âmes brisées et
Nuit de casse (Actes Sud, trad. Pierre Furlan)